
Il fut une fois sur la planète Mégasaucisson III, un brave paysan père de famille qui possédait trois vaches. Blanchette la première, la seconde, Noiraude et Théophilibert, l’ultime.
Ces bétails totalisaient sa seule richesse et encore, il lui restait toujours une traite sur sa dernière vache.
Son épouse, une triste matrone au caractère mauvais, le harcelait quotidiennement de reproches quant à ce qu’il faisait bon marché de leur maigre chère.
– Pauvre mec !
Ses enfants, cinq turbulents bambins chronologiquement échelonnés sur les cinq premières années de mariage, ne le respectaient guère.
– Vieux con !
Le brave paysan travaillait pourtant très dur afin de s’en sortir malgré la crise et tout ça.
Hélas, hélas son revenu annuel baissait de jour en jour.
Par ailleurs le méchant Receveur des Finances lui réclamait quatre cent mille sous d’arriérés d’impôts et cotisations sociales.
– Je vous somme de payer cette somme !
– Je vous prie de baisser vos prix !
Il était intraitable et nul marchandage ne l’émouvait. Le paysan, détaillait ses frais, expliquait ses difficultés passagères, invoquait un peu de solidarité.
Rien à faire, le Receveur s’en branlait.
– Mais où veut-y que j’les trouve ces quatre cent mille sous ? s’interrogeait régulièrement l’honnête et rural travailleur.
– Pauvre mec !
– Vieux con !
Un jour que pendant la traite de Théophilibert, il se demandait à voix haute comment il allait réussir à payer cette dernière, l’animal largua, sans sommation, un bon kilo de bouse.
– Oh non, pas sur la moquette ! s’écria mais un peu tard l’extracteur de lait.
En se précipitant pour nettoyer avant que sa femme arrive, il fit une consternante constatation : loin d’un normal caca, la bouse était en or.
– T’es point une bête ordinaire, toué ! s’adressa-t-il à l’animal.
– Hé non, mon brave ! malgré ma coïncidente ressemblance physique d’avec vos bovins, j’arrive tel que tu me vois d’une autre galaxie, répondit Théophilibert qui était donc extraméga-saucissonnestre muni d’un fort accent.
Et, sans plus attendre, il poursuivit dans la foulée :
– Me voici donc, seul survivant de mon espèce car un dur cataclysme nous décima. Il me semble avoir compris que mes fientes auromachiques comblent votre système monétaire de joie ; vous êtes dans l’embarras, servez-vous donc, gentil autochtone et n’hésitez pas.
Le pauvre paysan qui chaussait petit de quotient intellectuel ne comprit de ce discours que l’essentiel : y’aurait du pèze à ramasser.
Il se dépêcha d’embarquer vite fait la bouse et de l’encoffrer. Il régla ses dettes, agrandit son entreprise, investit à l’étranger. Le pauvre paysan était riche.
Sa femme accepta de remplir enfin le devoir conjugal qui était vide depuis des années. Ses fils daignèrent le biser.
La vie s’augurait, pour lui, sous les plus prometteurs des auspices d’un certain standing.
Sa basse-cour débordait, coqs en pâte et poules de luxe. Son étable, confortable ; l’écurie, bien garnie.
Pour sa grange, des louanges ; ses tracteurs, les meilleurs. Et sa cave, on en bave ; sa cuisine, on s’incline. Ses servantes, excellentes ; ses valets sont pas laids.
Ce n’était même pas embêtant car il était en excellente santé. Évidemment, avec toutes ces extériorisations signifiantes de richesse, le fisc le rattrapa et le rata pas. Il dut casquer et recasquer.
La famille réclamait toujours davantage d’or en bouse et menait grand train dans les lieux les plus huppés d’agrément et d’aisance.
Le malheureux Théophilibert satisfaisait quotidiennement à leurs besoins en pratiquant sans relâche la même chose pour les siens.
On comprendra aisément que, dans ces conditions, un beau matin, lassé de passer ses journées entières sur le seau, Théophilibert mit les bouts.
(extrait Le Nœud sur la Troisième Marche - Angel Carriqui)
|